Chapitre 1 – Le voyage
La nuit tombe à la frontière Italie-Yougoslavie à environ
vingt kilomètres de Trieste, ce huit décembre 1978. Il fait
moins huit degrés et nous ne savons pas où nous allons dormir ce soir. Nous avons attendu en vain toute la journée qu’un automobiliste veuille bien nous prendre pour nous emmener plus loin. Et maintenant, plus aucun bus ne passera pour la Yougoslavie ni pour Trieste. Cette douane se trouve en forêt avec quelques habitations dispersées.
Les douaniers nous ont donné deux adresses pour éven-
tuellement trouver un gîte, mais il n’y a plus aucune place de libre. Il est vingt et une heures maintenant.
— Nous allons mourir ce soir si nous devons dormir
dehors ! me dit, la gorge serrée, mon compagnon Éric.
Je sens une force m’habiter et d’un ton décidé, je lui réponds :
— Ce n’est tout simplement pas possible que nous devions
dormir dehors, ne t’en fais pas, il ne nous arrivera rien. C’est bien joli tout cela, mais que faire ? Nous décidons de
retourner au poste de frontière et de demander l’hospitalité
aux douaniers. Ils nous proposent de nous installer dans un garage ouvert, sans porte ; ce n’est pas possible, il fera trop froid. À contrecœur, ils nous font entrer dans une salle avec de grandes tables ; elles seront nos lits pour ce soir. C’est dur, mais au moins, il fait chaud et nous sommes à l’abri. Pour la première fois depuis le début de ce voyage qui devrait nous mener en Inde, j’ai le sentiment de ne pas être seul et qu’une
force – je lui donne le nom de Dieu – nous accompagne.
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Pourtant, nous avons déjà rencontré des problèmes pour
dormir depuis notre départ, quelques jours auparavant. La
première nuit, nous l’avions passée dans une aire d’autoroute dans les toilettes des femmes, un peu plus propres que celles des hommes. Puis, nous avons trouvé refuge dans la cage
d’escalier d’un immeuble à Trieste. Pourquoi ne pas aller à
l’hôtel, me demanderez-vous ? Nous ne sommes pas partis
avec beaucoup d’argent et notre voyage devrait durer de
longs mois. Il nous faut économiser le plus possible.
L’épisode de la frontière oublié, nous voilà à Belgrade ; la
soirée est bien avancée et il nous faut dormir à nouveau. Nous ne trouvons pas mieux qu’une cave dans un immeuble d’habitation. Nous nous endormons difficilement ; nous sommes en pays communiste et nous n’avons pas très envie de goûter aux plaisirs des geôles de Tito, ce président qui dirige la Yougoslavie d’une main de fer.
Quelques jours plus tard, un second signe du « Ciel » se
manifeste. Nous voilà dans un pittoresque village côtier à l’est
de Thessalonique, à environ cent kilomètres d’Istanbul. Ce
matin, je sens une douleur lancinante dans le bas-ventre et cela commence à m’inquiéter.
— Faut-il appeler un médecin ? me dit Éric.
— Non, cela devrait aller, va plutôt te promener au bord
de la mer et je vais attendre que cela passe.
Mais cela ne fait qu’empirer. Cela devient intolérable et
je me tords de douleur dans mon lit. Oh ! Je le connais bien,
ce problème : c’est un testicule mal descendu qui enfle parce
qu’il ne se trouve pas au bon endroit. Mais la souffrance n’a
jamais été si intense. Le remède, je le connais, c’est l’opération et rien d’autre ; celle-ci avait déjà été faite l’année précédente par un chirurgien de la vieille école. Il m’avait fixé un nœud papillon afin d’empêcher le testicule de remonter dans le bas-ventre, mais le nœud n’avait pas tenu !
Une opération, cela signifie très certainement un rapatrie-
ment et un adieu à l’Inde. Ce n’est juste pas possible, je dois
aller là-bas ; je ne sais pas exactement pourquoi, mais il le
faut…..